Maurice Courant, Le Théâtre en Chine
Le théâtre existe en Chine depuis plusieurs siècles quelle vogue a-t-il ? Quelle opinion règne sur son compte ? Quels sont les grands traits de l’art dramatique ? Voilà ce que je voudrais faire voir, afin de déterminer la place du théâtre dans la civilisation chinoise.
On ne trouve de théâtres permanents que dans les grandes villes chinoises, à Canton, à Changhaï, par exemple, et aussi dans les villes de second ordre renommées comme centres de plaisirs élégants, telles que Sou-tcheou, Hang-tcheou. À Péking il existe un assez grand nombre de salles, seize, si j’en crois un petit guide des provinciaux dans la capitale, pour une population qui ne doit pas atteindre un demi-million ; la plupart sont groupées hors de Tshien-men c’est le nom que l’on donne à l’une des trois portes établissant la communication entre la ville tartare et la ville chinoise. Le palais impérial, qui occupe tout le centre de la ville tartare et la coupe en deux du nord au sud, s’avance jusqu’auprès de Tshien-men ; presque toute la circulation de l’est à l’ouest de la ville se fait entre cette porte et le Palais : on rencontre là une foule de charrettes à mules, d’énormes brouettes aux roues grinçantes, des âniers courant derrière leur âne ; de temps en temps passe une chaise verte escortée de cavaliers en costume officiel ; au milieu des véhicules, se faufilent les mendiants déguenillés, couverts de plaies et de crasse, les piétons ordinaires qui vont à leurs affaires, les marchands ambulants annonçant leur marchandise chacun par un cri différent. De cette foule pressée, bariolée, plus criarde et plus remuante que celle de Paris, une bonne partie s’engouffre sous la haute voûte de Tshien-men et se répand dans la ville chinoise par les deux ouvertures latérales de la demi-lune ; et, de l’autre côté de la porte, c’est le même bruit, le même mouvement, avec plus de lumière, parce qu’on n’a plus la vue arrêtée par l’énorme masse de maçonnerie. À partir de là, les routes s’irradient, l’une large, droit au sud, les autres resserrées, tortueuses vers l’est et vers l’ouest. Dans le voisinage de la porte est le quartier le plus commerçant de la capitale : c’est là que s’entassent les thés, les soieries, les porcelaines et les bronzes dans des magasins profonds et obscurs ; c’est là aussi que l’on trouve les grands restaurants, les maisons publiques, les théâtres. On ne compte pas moins de neuf salles à proximité les unes des autres, Pavillon de la Vertu étendue, Jardin de la Triple félicité, Jardin de la Félicité et de la Joie, toutes avec des noms également sonores.
Quelques autres théâtres sont situés dans les faubourgs qui s’allongent hors des portes les plus fréquentées, le long des routes de l’est allant à Thien-tsin, du nord allant en Mongolie, du sud-ouest allant dans la Chine centrale ; deux théâtres seulement sont dans la ville tartare, l’un près d’une bonzerie où se tient, deux fois par mois, une foire renommée ; l’autre, près du Quadruple portique oriental, dans le quartier où se fait le commerce des grains et du bétail. — Toutes les salles se trouvent dans des rues très fréquentées et dans le voisinage de restaurants, hôtelleries, maisons mal famées, tripots… La population spéciale de ces quartiers, les allants et venants très nombreux ont mauvaise réputation près de la police, et passent pour turbulents et difficiles à mener ; aussi les autorités de la capitale ne se soucient pas de laisser s’accroître le nombre des théâtres et interdisent l’ouverture de nouvelles salles ; celles qui existent datent, m’a-t-on affirmé, du xviie siècle.