Crime d'apartheid
La notion juridique internationale de crime pour apartheid est définie par la résolution 3068 XXVIII de l'assemblée générale des Nations unies (ONU) du 30 novembre 1973[1].
Elle est, en outre, reconnue par le statut de Rome de 2002 instituant une cour pénale internationale. Le crime d'apartheid est défini comme tout acte inhumain de caractère analogue à d'autres crimes contre l'humanité commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe ethnique sur n'importe quel autre groupe ethnique. Les crimes d'apartheid énumérés sont le meurtre, l'esclavage, la privation de liberté physique, la réinstallation forcée, la violence sexuelle, persécution individuelle et collective.
Origines
[modifier | modifier le code]Le , à l'instigation de l'URSS et de la république de Guinée, l'assemblée générale de l'ONU ouvre aux signatures et ratifications une convention appelée Convention internationale sur l'élimination et la répression des crimes d'apartheid (ICSPCA)[2],[3].
En 2007, 107 membres ont ratifié la convention, dont l'Inde et Cuba[4].
Afrique du Sud
[modifier | modifier le code]Dès la création du texte, l'Afrique du Sud était dans les conditions pour relever du crime d'apartheid.
Projet Coast
[modifier | modifier le code]Le Projet Coast[5] était un programme d'armes bactériologiques et chimiques secret-défense du gouvernement d'Afrique du Sud durant l'apartheid[6]. Ce programme visait à contrôler la démographie de la population noire d'Afrique du Sud en créant des armes bactériologiques ne s'attaquant qu'à la population d'origines africaines[7].
Allégations de crime d'apartheid dans d'autres pays
[modifier | modifier le code]Birmanie
[modifier | modifier le code]La manière dont la Birmanie traite ses minorités nationales conduit à la mise en cause d'un « apartheid birman »[8].
Canada
[modifier | modifier le code]Selon un rapport du coroner Me Bernard Lefrançois, les violences et les suicides dans les réserves autochtones découleraient du régime d'apartheid qui a été institué à l'égard des peuples autochtones il y a plus de 150 ans dans les Loi sur les Indiens[9]. Les Autochtones ont par ailleurs le taux d'incarcération le plus élevé au pays et constitueraient 30 % des prisonniers dans les institutions carcérales fédérales en janvier 2020 malgré le fait qu'ils représentent 5 % de la population canadienne[10].
D'après le juge à la retraite manitobain Brian Giesbrecht, les dirigeants d'Afrique du Sud se seraient inspirés du droit autochtone canadien au moment où ils ont rédigé les principales lois sur l'apartheid pendant les années 1940. Au moment où le Canada s'est engagé dans la lutte contre l'apartheid sud-africain dans les années 1980, les responsables politiques canadiens n'auraient pas tenu compte de cela. Pourtant, lors d'une conférence de presse tenue en 1987, le ministre sud-africain Glenn Babb et le chef autochtone Louis Stevenson se sont joints pour dénoncer ce qui à leurs yeux constituait de l'hypocrisie[11].
D'autres critiques sont encore plus sévères et évoquent même un génocide des peuples autochtones[12],[13]. La question est difficile car il s'agit de déterminer dans quelle mesure une intention d'assimilation culturelle forcée peut équivaloir à une mens rea d'intention génocidaire au sens de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide[14].
Mauritanie
[modifier | modifier le code]La situation en Mauritanie est comparée à celle de l’apartheid par des juristes africains[15].
Israël - Palestine
[modifier | modifier le code]En , le CESAO (ESCWA en anglais), une commission régionale de l'Organisation des Nations Unies (ONU) chargée des questions de développement dans le monde arabe, publie un rapport officiel indiquant qu'« Israël est coupable de politique et de pratiques constitutives du crime d'apartheid ». À la suite des pressions d'Israël et des États-Unis, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, fait dépublier ce rapport. La Secrétaire exécutive du CESAO, Rima Khalaf (en), démissionne alors pour protester contre ces pressions[16].
En 2018, le directeur Hagai El-Ad de l'ONG israélienne B'Tselem prononce un discours devant le Conseil de sécurité des Nations unies où il dénonce le « processus calculé et délibéré » visant notamment à diviser la Cisjordanie en de petites enclaves qu'il compare à des bantoustans[17].
L'accusation d'apartheid à l'encontre de l'État israélien est également reprise par diverses associations et militants[18]. En janvier 2021, B'Tselem publie un rapport[19] accusant Israël d'avoir mis en place un régime d'apartheid en Israël et en Palestine occupée. Dans un rapport publié le [20], l'ONG internationale de défense des droits de l'homme Human Rights Watch conclut que les autorités israéliennes sont responsables du crime d'apartheid tel qu'il est défini par le droit international.
Le , Amnesty International conclut 4 ans d'enquête menée par un réseau d'experts[21] par l'affirmation que : « Notre rapport révèle la véritable ampleur du régime d'apartheid d'Israël. Que ce soit dans la bande de Gaza, à Jérusalem-Est, à Hébron ou en Israël, la population palestinienne est traitée comme un groupe racial inférieur et elle est systématiquement privée de ses droits »[22].
En Israël, ces critiques sont cependant mal accueillies. Benjamin Pogrund (en), journaliste israélien né en Afrique du Sud, la qualifie « d'excessive ». Cependant, concernant la bande de Gaza, il affirme : « C'est une occupation. C'est une tyrannie. C'est une erreur et ça doit s'arrêter. Ce point ne doit pas être embelli. Y mêler le terme émotionnel d'« apartheid » est non seulement incorrect mais crée la confusion et fait oublier le fond du problème. »[23]
Dans son avis consultatif du 19 juillet 2024[24], la Cour Internationale de Justice reconnait que « les lois et mesures d’Israël emportent violation de l’article 3 de la CIEDR », et qu'Israël pratique donc la ségrégation raciale ou l'apartheid[25]. Cette analyse est reprise par l'ONG Human Rights Watch le 22 juillet 2024[26].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- « Résolutions de la vingt-huitième session de l'Assemblée générale », sur www.un.org (Organisation des Nations unies) (consulté le )
- (en) « International Convention on the Suppression and Punishment of the Crime of Apartheid » [PDF], sur digitallibrary.un.org (Organisation des Nations unies) (consulté le )
- « Underlines the importance of the universal ratification of the Convention, which would be an effective contribution to the fulfilment of the ideals of the Universal Declaration of Human Rights and other human rights instruments. » Point 4 de A/RES/48/89 de la 48e AG des Nations unies
- statut. Point 9
- « hns-info.net/article.php3?id_a… »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?).
- http://www.unidir.org/pdf/ouvrages/pdf-1-92-9045-144-0-en.pdf {en}
- (en) « Apartheid government sought germs to kill blacks », sur BBC News news.bbc.co.uk, (consulté le )
- Alternatives Économiques, Comprendre l’exode des Rohingyas
- La Presse. « Les autochtones dans un régime d'«apartheid», croit le coroner ». En ligne. Page consultée le 2020-11-29
- Radio-Canada. « Les Autochtones représentent 30 % des prisonniers fédéraux, un « sommet historique » ». En ligne. Page consultée le 2020-11-29
- (en) Troy Media. Brian Giesbrecht, Canada’s persistent apartheid system. 11 septembre 2018. En ligne. Page consultée le 2021-06-23
- Hélène Buzzetti, « Le Canada accusé de «génocide» envers les femmes autochtones », sur Le Devoir, (consulté le )
- Mike Blanchfield, « Génocide: l’incohérence du Canada face aux Autochtones montrée du doigt », La Presse, (lire en ligne, consulté le )
- ONU. Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
- Garba Diallo, Mauritania : an other Apartheid, Nordiska Afrkainstitutet, Uppsala, 1993.
- Benjamin Barthe, « Sous la pression, l’ONU enterre le rapport accusant Israël d’apartheid », sur Le Monde, (consulté le )
- « Discours de Hagai El-Ad au Conseil de sécurité des Nations Unies, le 18 octobre 2018 », sur Union juive française pour la paix,
- « Peut-on parler d’Apartheid en Israël ? », sur La Cimade (consulté le )
- (en) « A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: This is apartheid », sur B'Tselem (consulté le )
- « Des politiques israéliennes abusives constituent des crimes d’apartheid et de persécution », sur Human Rights Watch, (consulté le )
- Amnesty International, « ISRAEL’S APARTHEID AGAINST PALESTINIANS » [PDF], (consulté le ), p. 39
- Amnesty International, « L’apartheid d’Israël contre la population palestinienne : un système cruel de domination et un crime contre l’humanité » [html],
- « I know Israel today – and I knew apartheid up close. And put simply, there is no comparison between Israel and apartheid. The Arabs of Israel are full citizens. […] This is occupation. It is a tyranny. It is wrong and must end. The point does not need to be embellished. Dragging in the emotive word “apartheid” is not only incorrect but creates confusion and distracts from the main issue. » in (en) Benjamin Pogrund, « Israel has many injustices. But it is not an apartheid state », sur The Guardian, (consulté le )
- « Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occ », sur www.icj-cij.org (consulté le )
- (fr + en + ar + zh + ru + es) Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, « Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale », sur https://www.ohchr.org/en/ohchr_homepage, (consulté le )
- « La Cour internationale de justice estime qu'Israël est responsable d’apartheid | Human Rights Watch », (consulté le )